"Un goût de cendres" : meurtre à l'anglaise
P'tit résumé :
Le célèbre joueur de cricket Kenneth Flemming est retrouvé mort dans un cottage du Kent, asphyxié dans un incendie criminel. Le monde du sport est en émoi : Ken était issu du monde ouvrier et commençait sur le tard une carrière qui s'annonçait magnifique.
L'Inspecteur Linley et sa collègue le sergent Havers, les héros récurrents de l'auteur, démarrent l'enquête. Mais les voilà noyés sous les coupables potentiels : Miriam Whitlaw, la propriétaire du cottage et mentor de Ken, une femme d'âge mûr avec laquelle il vivait scandaleusement ? Olivia, la fille de celle-ci, brouillée avec sa mère depuis dix ans ? Gabriella, sa maîtresse ? Jean, sa femme abandonnée ? Jimmy, son fils aîné ? Ou bien encore un membre de l'équipe ?
Face à cette masse de suspects potentiels, les deux enquêteurs perdent parfois pied et un doute affreux envahit l'Inspecteur Linley : cette enquête sera-t-elle la première qu'il ne parviendra pas à élucider ?
Mon avis :
Je voulais rendre justice à Elisabeth George, dont je n'avais pas vraiment apprécié le polar pour ado "Saratoga Woods" dont je vous avais déjà parlé.
Ici, nous sommes face à l'un de ses meilleurs romans. Il s'agit d'un pavé de 650 pages, alors cela pourrait en faire hésiter certains - sauf si comme moi vous aimez choisir vos livres en fonction de leur grand nombre de pages ! Cependant, pas une seconde d'ennui ou de ralentissement dans le déroulement de l'enquête.
Selon moi, Elisabeth George est plus proche dans son écriture de la littérature que de l'auteur de roman pilicier. La finesse des portraits psychologiques de ses personnages, le soin apporté au choix des lieux, les descriptions précises, en font un auteur à part. Elle-même refuse de voir une différence entre le "roman à énigme" et le "vrai roman".
Dans ce livre, le narrateur ou le point de vue change selon les chapitres. Olivia, la fille, raconte sur un mode autobiographique parfois très cru sa relation complexe et déchirante avec sa mère.
Puis le regard se déplace vers la vie de chacun des personnages, suspects ou non... Nous découvrons leurs activités plus ou moins secrètes, leur quotidien banal ou remarquable.
Comme Linley et Havers, nous commençons à patauger dans la quantité d'informations qui nous est apportée, comme si nous étions nous-mêmes en train d'enquêter. Mais comme nous en savons plus qu'eux, nous développons de l'attachement pour les suspects, qui finalement ne font que subir les évènements et trouver des moyens de faire face aux difficultés de leur vie. Et comme les enquêteurs, nous voici face à un dilemne : plusieurs pistes s'offrent à nous, mais nous espérons de tout notre coeur qu'aucun d'entre eux n'est coupable ! C'est drôlement rare dans un roman policier...
Un cottage
Les personnages récurrents des romans d'Elisabeth George, l'Inspecteur Linley et le sergent Barbara Havers, forment un duo improbable mais cependant attachant. Lui est un aristocrate élégant, riche sans ostentation, qui vit avec son majordome dans un hôtel particulier. Elle est une femme entre deux âges, qui se juge rudement sans grâce ni attrait, ne sait pas s'habiller et survit dans un logement minuscule, avec dans sa vie une mère atteinte d'Alzheimer et une petite fille de 8 ans qui est sa seule amie !
Pourtant, leur équipe fonctionne à merveille : face à un inspecteur qui aime tout vérifier par lui-même et mener ses enquêtes sans entrave, Barbara est la seule à oser s'élever contre ses avis et intuitions, le ramener vers des pistes inexplorées, imposer son point de vue avec opiniâtreté. Lui de son côté, lui apporte un peu d'affection au quotidien, veille à ce qu'elle se nourrisse au moins !
En conclusion : lancez-vous, essayez, vous ne le regretterez pas. Et la petite mélodie mélancolique distillée par ce livre vous accompagnera encore bien après l'avoir refermé...
Deux extraits :
OLIVIA : "L'histoire commence avec mon père, à vrai dire, car c'est moi qui ai causé sa mort. Ce n'était pas mon premier crime, mais c'est celui que ma mère n'a jamais réussi à me pardonner. Etant incapable de tirer un trait, elle devait nous rendre la vie difficile à toutes les deux. Et en faire trinquer d'autres du même coup.
Parler de ma mère n'est pas une tâche aisée. On va penser que je la traîne dans la boue, que je saute sur l'occasion de me venger. Mais il y a une chose qu'il faut que vous sachiez dès le départ à propos de ma mère si vous devez lire la suite : c'est une femme qui a le goût du secret. Bien que capable, si on lui pose des questions, d'expliquer avec délicatesse que nous nous étions brouillées quelque dix ans plus tôt à la suite de ma "malencontreuse liaison" avec un musicien entre deux âges nommé Richie Brewster, jamais elle n'aborderait le sujet d'elle-même. [...] Jamais maman ne vous raconterait ces détails-là : elle les garderait pour elle, se persuadant que c'est pour me protéger. Mais en réalité, si maman a toujours caché les faits, c'est pour se protéger, elle. "
"-Bonsoir, lança Barbara.
Lynley leva la tête. [...].
- Ah, parfait, dit Lynley en posant ses papiers et en retirant ses lunettes. Vous voilà, Havers.
Elle aperçut un sandwich enveloppé dans du papier cellophane, un paquet de chips et une tasse recouverte d'une soucoupe sur le bureau devant la chaise vide. Elle s'approcha, prit le sandwich, qu'elle extirpa de son papier, et le renifla d'un air soupçonneux. Elle souleva la couche de pain du dessus. Le mélange logé à l'intérieur évoquait une sorte de pâté aux épinards. Et ça sentait le poisson. Elle frissonna.
- C'est ce que j'ai pu faire de mieux, expliqua Lynley.
- Champignons vénéneux sur pain complet, murmura Barbara.
- Avec du bouillon Bovril pour faire passer.
- Vous me gâtez, monsieur."
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